Réflexions autour des modèles d’affaires en milieu associatif et des avantages de l’adhésion

Auteur: Jacques Cool

La troisième de quatre causeries hiver-printemps du REFAD avait lieu le 6 mai dernier et portait sur les étendues de l’approche Freemium – Premium comme modèle d’affaires pour le secteur éducatif. Essentiellement, la discussion gravitait autour de deux questions posées simplement mais renfermant des degrés élevés de complexité :

  • Quels modèles d’affaires privilégier en milieu associatif?
  • Quels sont les avantages et défis de l’adhésion?

Les deux « experts en résidence » Olivier Alfieri, doctorant à la faculté d’Éducation de l’Université d’Ottawa et architecte de la formation digitale chez Elearning Studio, et Daniel Baril, directeur général de l’Institut de coopération pour l’éducation des adultes (ICÉA), recevaient leurs invités Hubert Lalande de l’Université d’Ottawa et Julie Pigeon de l’association Edteq.

D’entrée de jeu, Baril dresse un portrait des réalités et des défis auxquels font face les organisations cherchant à réseauter, soutenir et accompagner leur adhérents par l’entremise de diverses possibilités, notamment :

  • On se situe entre idéalisme (ressources mutualisées et partagées librement partout) et pragmatisme (réalité financière du terrain).
  • Les ressources et services offerts par un organisme financé par des fonds publics ne sont pas du freemium mais plutôt un bien public.
  • Les coûts de production sont une contrainte matérielle importante qu’il faut chercher à solutionner dans la construction d’un modèle d’affaires, en particulier via un modèle de réseautage par les pairs et la valeur ajoutée de la mutualisation des services;
  • On assiste à l’émergence d’un nouveau modèle, celui de « mouvement » qui mutualise services et ressources (REL, logiciels libres, réseautage ouvert, etc.), dépassant le seuil de l’organisation. Pour illustrer, on pourrait dire que le REFAD est une organisation alors que la FAD est un mouvement.

Selon Alfieri, les ressources en freemium (offre gratuite) du secteur privé existent depuis des années, alors qu’on assiste aujourd’hui à une dématérialisation du Web, occasionnant des tensions entre l’offre gratuite de certaines organisations et l’offre payante (premium) d’autres organisations. Le monde de l’édition scolaire et celui de la musique en sont des exemples forts. La gratuité relative « intercalée » dans les produits et services offerts en ligne rend floue la démarcation entre freemium et premium. À cet égard, comment les nouveaux modèles d’affaires des organisations sans but lucratif (OBNL) subventionnées par l’état, assurent-ils la pérennité des projets mis de l’avant par ces OBNL ? Quelle place à l’autofinancement, au crowdfunding? Comment se réinventer dans ces nouvelles réalités socio-économiques et numériques?

Pour Hubert Lalande, il n’y a pas de réponse claire à la question du modèle d’affaires à privilégier aujourd’hui. On aura assisté au cours des dernières années à toutes sortes de tentatives de virage numérique, en particulier dans le monde de l’édition. « Faire du bon numérique, c’est très, très cher et le retour sur l’investissement n’est pas au rendez-vous », prétend Lalande. Pour ce secteur d’activité, l’imprimé demeure au cœur du modèle d’affaires mais c’est plutôt vers une formule mixte ou hybride rattachée à une offre de services via des portails en ligne bien conçus que se dirige le secteur. Du point de vue de l’enseignant, l’accès facilité aux outils numériques de médiatisation joue certes dans l’équation, mais n’est pas nécessairement garant de processus rigoureux de conception pédagogique de ressources.

La FAD et les ressources éducatives libres (REL) n’échappent pas aux défis d’actualisation du modèle d’affaires adopté, selon Lalande. Il y a toujours des lacunes dans le design, la conception pédagogique, la livraison d’un cours en ligne ou d’une REL, et cela prend des années pour en arriver à un produit de qualité, généralement à un coût élevé. L’expertise développée au fil des ans (scénarisation, conception pédagogique, médiatisation, etc.) peut être profitable aux jeunes organisations qui s’y lancent, afin d’éviter les erreurs du passé. Ceci dit, il n’y a pas qu’un seul modèle à considérer mais bien plusieurs: ressources gratuites, ressources accompagnées de services payants, etc.

Finalement, les modèles qui perdureront seront complexes, insérés dans un continuum de services et avec facturation modulée. Pour Alfieri, la qualité d’une ressource gratuite en ligne est-elle suffisante par rapport à la valeur d’une ressource qu’on paie? Comme on dit en anglais, « you get what you pay for ». Tout en reconnaissant la tension entre l’adhésion (à un service, à une communauté en ligne…) et la gratuité prédominante mais essentielle à l’Internet, l’hybridation ressources/services dans un continuum diversifié, demeure une piste importante de réponse.

La force du réseautage entre membres et la force du nombre demeurent des points saillants du modèle associatif chez Edteq, selon Julie Pigeon. L’esprit de collaboration et d’échanges favorise une adhésion forte à cette communauté entrepreneuriale en éducation numérique.

Concrètement, on parle d’une palette de services : co-développement et entraide, échanges d’informations par divers canaux (ex. Slack), mentorat, rayonnement auprès de la population en général et représentation auprès des instances politiques. Toutes ces approches permettent un maillage fort au sein de l’industrie. Le terme coopétition peut être évoqué pour décrire cette réalité, tout en demeurant conscient des limites que peuvent avoir ces collaborations (propriété organisationnelle et chasse-gardées d’entreprise). Mais pour Baril, la valeur ajoutée venant du collectif est bien souvent supérieure à la valeur monétaire des frais d’adhésion.

De tels continuum de services et de ressources caractérisent les modèles à vitesse et géométrie variables. L’agilité et la flexibilité des organisations dans leur offre de services et de ressources sont donc au rendez-vous. Les exemples probants de réussite dans ce sens sont recherchés.

À cet égard, Lalande mentionne que le secteur privé de la formation (corporations, entreprises) continue de déployer un modèle direct et payant qui fonctionne bien. Pour le monde de l’éducation, cela demeure plus difficile car bien des utilisateurs s’attendent à quelque chose de gratuit, puisque c’est sur le web et googlable. Pour le milieu associatif, des questions de fond perdurent :

  • A-t-on les moyens de nos ambitions?
  • Peut-on juxtaposer des valeurs mercantiles et de « profitabilité » avec des valeurs d’éducation et de transmission du savoir ou demeurent-elles en opposition?
  • Comment favoriser une culture de la collaboration et non de concurrence?

Selon Hubert Lalande, peu de modèles agiles, flexibles et ayant des sources de revenus intéressantes existent. Les organisations dont le modèle d’affaires réussit à perdurer affichent bien souvent une posture de co-construction, de synergie public-privé et de complémentarité jumelée à l’écoute des besoins des utilisateurs, comme dans le cas de Sésamath qu’on offre en exemple. D’autres comme l’Association canadienne des professionnels de l’immersion (ACPI) arrivent à diversifier leur offre de services (avec une facturation modulée) auprès d’une base d’adhérents aux profils et aux besoins variés.

« Pour paraphraser, la viabilité [des modèles d’affaires] passera par l’intégration de la communauté en tant que coproducteur, à différents échelons. » (Olivier Alfieri)

Pour Julie Pigeon, la réalité financière du monde associatif fait en sorte que leur contexte favorise un modèle de revenus récurrents, permettant de bâtir des projets plus pérennes. Mais la contribution gouvernementale demeure importante pour un regroupement touchant le monde de l’éducation et de l’économie, deux priorités gouvernementales. Ajouté à cela le fait que pour un secteur émergent, la cotisation auprès de « petits » joueurs (les start-ups) doit demeurer abordable. Les projets subventionnables et les partenariats (ex. échanges de services avec divers fournisseurs) peuvent pallier ce manque à gagner, tout comme des missions commerciales, des commandites ou des galas de reconnaissance à l’innovation.

En conclusion, devant la grande complexité et l’éclatement des référents classiques que met en lumière le questionnement sur de nouveaux modèles d’affaires en éducation dans une perspective de droit universel à l’éducation, il serait intéressant qu’une organisation comme le REFAD par exemple (véritable « réseau de réseaux ») agisse auprès de ses membres comme coordonnateur de « grappe » afin d’accentuer le pôle « mouvement », comme celui de la FAD invoqué en début d’article. La valeur ajoutée en serait donc une de posture. Les balises qui guideront l’édification d’un modèle agile, pertinent et, espérons-le, pérenne de ressources et de services s’établiront sur fond d’équité, d’inclusion et d’accès à l’éducation.

La dernière causerie du REFAD aura lieu le 3 juin à 12h (heure de l’Est) et portera sur le rayonnement et les valeurs intangibles d’une adhésion. Après la présentation d’une initiative belge, la parole sera donnée aux membres. Pour s’y inscrire, vous pouvez cliquer ici. La causerie résumée ici peut être écoutée en ligne, pour les personnes intéressées.

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Commentaire(s)

  1. Je me suis laissé prendre à regarder cette causerie en asynchrone, et je l’ai visionné… au complet avec un très grand intérêt. Merci d’avoir osé parlé d’un sujet si peu discuté, mais combien important considérant la croissance de production des REL et du modèle de production/diffusion hybride avec des partenaires du privé. Des propos forts pertinents et éclairants. Merci du partage.